PLAIDOYER Formation Professionnelle, 3eme partie

PLAIDOYER FORMATION PROFESSIONNELE, 3ème partie.

 Par Marcel GABAUD, Octobre 2015

 CONSTITUTION DE LA TABLE DE CONCERTATION de la FTP

Comme souligné dans la 1ère partie, le leadership serait assuré par le MENFP, (Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle), qui agirait de manière concertée avec les ministères sectoriels et entités étatiques impliqués dans la formation Professionnelle. A titre d’exemple on peut citer :

 SECTEUR ETATIQUE

  1. MEF Ministère de l’Economie et des Finances
  2. MAST Ministère des Affaires Sociales et du Travail
  3. MCI Ministère du Commerce et de l’industrie
  4. MTIC Ministère du Tourisme et des Industries Créatives
  5. MTPTC Ministère des Travaux Publics Transports et Communications
  6. MSPP Ministère de la Santé Publique et de la Population
  7. MJSAC Ministère de la Jeunesse des Sports et du Service Civique
  8. MARNDR Ministère de l’Agriculture des Ressources Naturelles et du Développement Rural
  9. MCFDF Ministère à la Condition Féminine et aux Droits de la Femme
  10. ME Ministère de l’Environnement
  11. CONATEL Conseil national des télécommunications
  12. SCV Service de la circulation des véhicules
  13. BSEPH Bureau du secrétaire d’état des personnes handicapées
  14. ONART Office national de l’artisanat
  15. CNE Centre national des équipements

PARTENAIRES TECHNIQUES ET FINANCIERS

  • Unesco
  • Banque Mondiale
  • Union Européenne
  • Bureau International du Travail
  • BID
  • Agence Brésilienne de Coopération
  • Agence Française de Développement
  • USAID
  • Banque Mondiale
  • JICA
  • Coopération Suisse
  • APEFE

SECTEUR PATRONAL ET OUVRIER

  • ADIH
  • CLED
  • Forum Economique des Affaires
  • CCIH

Des points focaux seraient identifiés sur les différentes thématiques retenus par la table. Ces points focaux peuvent être des experts, des cadres exerçant des responsabilités sur certaines thématiques d’intérêt, la coordination des travaux serait assignée à une institution selon la thématique. La table peut admettre, sur demande, des observateurs dans la mesure où leurs intérêts pour les travaux de la table sont motivés.

ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DE LA TABLE DE CONCERTATION FTP

Le mode de fonctionnement peut être déterminé par le Titulaire du MENFP. Toutefois les rencontres peuvent avoir lieu en fonction des thématiques à débattre, ou de la mise en œuvre de la Politique gouvernementale relative au sous-secteur de la FTP. Un secrétariat pour le suivi, interagirait avec les points focaux désignés et serait ainsi composé :

  1. Deux représentants du MENFP
  2. Un représentant du Bureau du Secrétaire d’Etat à la Formation Professionnelle
  3. Un représentant de l’INFP
  4. Un représentant des Syndicats
  5. Un représentant du Patronat
  6. Un assistant administratif
  7. Un agent de communication

ATTRIBUTIONS PRINCIPALES DU SECRETARIAT

Le secrétariat de la table sectorielle sur l’emploi aurait pour attributions de :

  1. Préparer les agendas, convoquer les réunions, veiller à la préparation et à la distribution de la documentation afférente en temps utile pour faciliter les débats ;
  2. S’assurer de la préparation des rapports de réunion, et leur diffusion auprès des participants et autres intervenants concernés, y compris via les sites internet appropriés ;
  3. Tenir le registre des partenaires, du plan d’action de la table et des procès-verbaux, la liste des recommandations et le suivi des demandes et actions formulées ;
  4. Servir de point focal pour des échanges particuliers entre le ministère de tutelle(MENFP), le MPCE(en particulier la cellule d’appui à la coordination et au suivi des tables) ;
  5. Recueillir auprès des structures techniques concernées les informations requises pour le suivi des activités du secteur ;
  6. S’assurer que les résolutions sorties de la Table de concertation s’harmonisent avec les actions menées par les structures des ministères dans la logique de coordination des politiques de l’État.

(a suivre)

Marcel GABAUD

 

PLAIDOYER Formation Professionnelle en Haiti, partie 2

PLAIDOYER POUR UNE TABLE DE CONCERTATION POUR LA FORMATION PROFESSIONNELLE en HAITI

2ème partie, par Marcel GABAUD

CONSIDERATIONS

Depuis l’an dernier, le Gouvernement de la République a déposé au Parlement un projet de loi réforme de la formation professionnelle, en attendant son vote par la prochaine législature, de manière proactive, le Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle pourrait agir pour faciliter la concertation entre les autres ministères sectoriels intervenant dans le secteur. Puisque dans le cadre de la politique générale définie par le Chef du Gouvernement, le MENFP a la charge de la formulation de la politique sectorielle de Formation Technique et Professionnelle, en assurant la régulation et le contrôle de toute action publique ou privée du secteur à travers ses structures spécialisées; cette initiative viendrait donc à point nommé pour amorcer la future réforme.

PROPOSITIONS

L’actuel Titulaire du Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle pourrait prendre le leadership en mettant sur pied cette table de concertation et poser des jalons sûrs et fermes pour l’harmonisation tant recherchée au niveau du secteur de la FTP. Selon le projet de loi sur la réforme du secteur, le Ministre chargé de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle exerce, sur délégation du Premier Ministre, le pouvoir réglementaire par voie d’arrêtés ministériels en vue d’assurer l’application de la Législation en matière de Formation Technique et Professionnelle. A cet effet, cette table initiée par le MENFP, se chargerait de créer des conditions préalables à la mise en place du futur Conseil National de Formation Professionnelle ayant pour rôle principal de définir un nouveau cadre d’orientation stratégique du sous-secteur de la Formation Professionnelle. Cette table de concertation constituerait aussi un espace de travail et de dialogue fructueux pour la définition des besoins prioritaires du secteur et trouver un consensus sur les modalités de pilotage et de renforcement du sous-secteur de la formation technique et professionnelle. D’ailleurs, n’est ce pas une question qui devrait être portée à l’ordre du jour du Conseil des Ministres ?

Néanmoins, il est important de souligner que cette Table de concertation n’est pas le Conseil prévu et ne saurait le remplacer. D’ailleurs, la composition diffère. Cependant, à travers cet espace de travail, les Ministres concernés pourraient se rencontrer et, en collaboration, décider d’une ou plusieurs actions communes en faveur de la FTP. A titre d’exemple, les points suivants pourraient constituer des éléments de base d’une harmonisation et d’une standardisation des normes, on peut citer :

  • Un Registre national des institutions de formation technique et professionnelle, tous secteurs confondus, publics et non-publics habilités à délivrer des titres de formation technique et professionnelle ;

 

  • Un Répertoire national des titres et diplômes de formation technique et professionnelle, organisé en fonction des normes professionnelles de chaque métier et des programmes d’études correspondants ;  
  • Un Système d’homologation des titres et diplômes de formation technique et professionnelle, basé sur les caractéristiques d’un Cadre National de Certification ainsi que les dispositions légales et réglementaires relatives à la validation des acquis professionnels de l’expérience.

Marcel GABAUD

 

 

PLAIDOYER Formation Professionnelle

PLAIDOYER POUR UNE TABLE DE CONCERTATION POUR LA FORMATION PROFESSIONNELLE en HAITI.

1ère partie
Par Marcel GABAUD

CONTEXTE

Depuis quelque temps l’Etat tente d’élaborer une politique nationale de formation technique et professionnelle appelant à une meilleure harmonisation des actions menées par les différents intervenants publics et privés. Cependant, à ce stade de la réflexion, aucune voie claire et consensuelle adoptée par le gouvernement ne s’est dégagée. Dans ce contexte, les différents « Partenaires » du dispositif poursuivent leur action avec leurs propres approches et méthodes, sans cohérence les unes avec les autres.

L’Etat lui-même, crée cet imbroglio en ne jouant pas correctement son rôle de régulateur du système ; le MENFP n’est informé que périodiquement des actions de l’INFP. De plus, plusieurs ministères sectoriels interviennent à des titres divers dans le champ FTP sans coordination et sans références normatives partagées.

Le MENFP, via l’INFP, au nom de l’État Haïtien vient de réaliser, sur la période 2005-2012, des investissements de l’ordre de 33.5 millions de dollars de la BID, l’UE et la BCD, combinés. Des efforts de développement institutionnel important ont été entrepris. Certains autres ministères sectoriels ont eux aussi consentis des efforts non négligeables, tels le MARNDR, le MSPP ou le Tourisme. Fort de ces avancées indéniables, des progrès substantiels ont été enregistrés dans le sens d’une amélioration de la qualité de l’offre de formation professionnelle en Haïti, ainsi que de la réforme et de la gouvernance du système. La FTP est un pilier de la reconstruction et dans la vision du Gouvernement d’Haïti, la FTP constitue donc une priorité pour lequel l’Etat haïtien doit s’engager en comptant avec ses partenaires.

Aussi, convient-il donc, dans un cadre harmonieux de maintenir cet effort pour adopter et mettre en œuvre une stratégie visant l’harmonisation des actions dans le secteur de la Formation Technique et Professionnelle, aux fins de parvenir à la mise en place d’un véritable système de formation professionnelle, pouvant jouer un rôle important dans le développement économique du pays. Un tel exercice devrait rassembler l’ensemble des acteurs et parties prenantes de la FTP en vue de la réalisation d’un consensus autour d’objectifs à court, moyen et long termes.

Cette table de concertation pourra être constituée de représentants de tous les ministères sectoriels. Elle mettrait l’accent sur le premier objectif du Plan Opérationnel 2010-2015 : « Instituer un dispositif de gouvernance de la formation professionnelle et un cadre de gestion intégrée visant le développement économique et social du pays en impliquant les acteurs sociaux et économiques ».

Marcel GABAUD

Alternance, Part 2. (Reflexions)

RÉFLEXIONS SUR LA FORMATION EN ALTERNANCE, (part 2)

INADÉQUATION ET INCOMPATIBILITÉ

La finalité de la formation professionnelle est l’emploi, on ne peut s’en dissocier. Dans tous les systèmes organisés, les représentants du secteur de l’emploi, conseillent, orientent, financent, appuient, participent aux analyses de situation de travail pour l’élaboration des programmes et dirigent même des institutions de formation afin de satisfaire leurs besoins en ressources humaines qualifiées. Il serait donc naïf et impensable de croire ou de mettre en œuvre des programmes de formation à destination des jeunes sans la participation effective du milieu de l’emploi.

A cet effet, n’est-ce pas une aberration chez nous de continuer à préparer les futurs responsables et/ou techniciens d’un pays qui devront agir pleinement sur le milieu du travail, alors que cette préparation se fait pratiquement en dehors du monde du travail ? Ce constat vaut tant pour la formation professionnelle que pour l’enseignement supérieur. Des efforts ont lieu certes, mais le ver est dans le fruit ; l’interaction entre les centres de formation et les entreprises tardent encore.

  • Quid de l’obligation des stages de formation ?  Quelle est la responsabilité du MENFP ?
  • Quelle est la valeur réelle des certifications par rapport aux besoins du marché ?
  • Que penser d’une politique de formation en alternance ?
  • Pourquoi pas un espace d’échanges avec le milieu de l’emploi qui permettrait l’opérationnalisation d’un régime de stages obligatoires des finissants à tous les niveaux?
  • Pourquoi ne pas envisager la mise en œuvre de mesures incitatives en faveur des entreprises ?  
  • Que penser d’une reforme de nos modes de formation pédagogiques en adéquation avec le milieu de l’emploi ?
  • Que penser d’un programme-cadre de formation/perfectionnement pour tous les formateurs du secteur de la formation technique et professionnelle ?
  • Comment envisager la mise en œuvre d’un programme de formation continue ?

En bref, il s’agit ici d’apporter quelques arguments auprès des intéressés, le Ministère de l’Education et de la Formation Professionnelle, (MENFP), en particulier, pour approcher, selon le cas, les partenaires locaux du monde de l’entreprise. Dans cette perspective, le parcours de l’apprenant depuis l’école vers le monde économique et l’emploi se trouvera amélioré. A un autre niveau, les futurs formateurs seront mieux préparés et qualifiés. Ce qui peut aussi, à travers leur connaissance de l’entreprise et des métiers, faciliter ainsi leur orientation, leur recherche d’emploi, grâce à une plus grande employabilité.

Marcel GABAUD

 megcons@yahoo.com

L’APPRENTISSAGE EN ALTERNANCE, QUELQUES PISTES DE REFLEXIONS

L’APPRENTISSAGE EN ALTERNANCE, QUELQUES PISTES DE REFLEXIONS.     (1ère Partie)

La formation par alternance ou formation duale peut être définie comme un système de formation qui intègre une expérience de travail où la personne concernée, qui peut être élève, étudiant ou apprenti, se forme alternativement dans une entreprise privée ou publique et dans un établissement d’enseignement ou une université. Les centres de formation professionnelle, particulièrement, pratiquent ce modèle de formation duale surtout pour les métiers du secteur industriel. Toutefois, le milieu universitaire n’est pas en reste, exemple les facultés de médecine, d’agronomie, etc.

La formation en alternance est un moyen supplémentaire de découverte de la vie professionnelle active, d’alterner des connaissances théoriques et d’autres plus pratiques, de découvrir des métiers et de confirmer son choix de carrière. Ainsi, c’est donc une aide utile pour l’orientation professionnelle. Cet apprentissage pratique et contrôlé constitue en soi un moyen d’accès à l’emploi pour les jeunes encore en voie de scolarisation ou en cours d’études dans l’enseignement professionnel et technique. Pour mettre ici en application ce mode d’apprentissage, il est nécessaire que les autorités mettent en place un partenariat afin d’obtenir l’efficacité en termes de formation et de préparation à la qualification des jeunes. Lequel partenariat doit être établi, aux termes d’accords entre le MENFP et le secteur de l’emploi, avec la participation des collectivités locales, (décentralisation selon la Constitution de 1987).

Dans certains pays qui disposent d’un système d’apprentissage solide, le taux de chômage des jeunes est équivalent à celui des adultes, le taux d’apprentissage, mesuré par le nombre d’apprentis pour 1000 travailleurs employés est alors très élevé. En Haïti, le Code du Travail haïtien traite implicitement de la nature, de la forme, des modalités et conditions du contrat d’Apprentissage, (cf. : loi n°3- du contrat d’apprentissage, chapitre I, article 72). Cette loi devrait etre mise en application à la diligence du MAST. Cependant, cet aspect de la question est négligé ; peut-être, faute de manque d’intérêt des employeurs et/ou des responsables de la formation professionnelle ou encore de l’absence des employeurs dans l’orientation et la gestion du secteur. Le décret-loi du 14 mars 1985, régissant l’INFP,  quant à lui, dans ses articles 8 (a), 10 (a, c) et 20 (c, d), fait référence à l’apprentissage, aux différents modes de formation et aux types de centre, (centre de formation/production/emploi) pouvant offrir une formation duale.

Marcel GABAUD

megcons@yahoo.com
@MarcelGabaud Lire la suite « L’APPRENTISSAGE EN ALTERNANCE, QUELQUES PISTES DE REFLEXIONS »

Problématique fonctionnelle de l’école haïtienne, part 2

Texte de Kathia RIDOR

B- Le système éducatif haïtien et le sous-développement.

Quelles relations existe-il entre éducation, développement, sous-développement ? Laquelle des variables éducation et sous-développement est dépendante l’une de l’autre ? L’analyse de ces questions nous amènera finalement à montrer les limites de toutes actions réformistes de transformation du système éducatif à l’intérieur du système social global aliénant.

1- Discours mystificateurs d’une éducation développementiste.

De l’avis des organismes internationaux, tels l’ONU à travers ses sous-divisions, l’analphabétisme et la sous-scolarisation sont des freins majeurs au développement démocratique des États de la périphérie. Si en apparence ce discours semble logique, au fond, il est vide de sens, parce qu’il ne prend pas en ligne de compte l’histoire dans laquelle s’insère la crise éducative chronique de ces pays. L’éducation n’a jamais été un facteur de développement, comme elle ne peut être non plus, un facteur de sous-développement. L’éducation est soumise à la mouvance de l’avènement des diverses formes de production que le monde a connues, pour arriver finalement au capitalisme, qui comme un magicien, transforme tout en marchandise, et institue l’exploitation à outrance comme base de son développement. Le sous-développement est une création du système capitaliste, et le système éducatif institué dans ces pays appelés sous-développés travaille à maintenir la dépendance à l’égard de ces pays dits développés. Dans le cas d’Haïti, l’analphabétisme et la sous-scolarisation persistent, en partie, parce qu’ils ne menacent pas les intérêts économiques aménagés chichement par notre bourgeoisie anti-nationale. Pointer du doigt les maux du système éducatif en les disséquant de leurs imbrications dans la putréfaction totale du système global

est mystificateur. Car, « l’enseignement est, lui aussi, selon E. Brutus, un phénomène d’ordre économique, politique et social. On ne saurait l’étudier en le dissociant du système économique, du fait politique, de la division sociale. Il participe à un ensemble historique et vit de sa vie >>1. L’essentiel en ce sens serait de penser une éducation qui fait l’étude du développement, une école de développement. Mais développement, pas dans le sens d’une recette de sortie de crise universelle, formatée à l’extérieur, et transposable dans tout espace géographique et historique du globe. Mais une éducation pour penser le développement comme création intérieure à chaque groupe social dans son évolution historique propre.

« Cette école de développement, selon les mots de Jn. Anil L. Juste, doit promouvoir la lutte contre le dualisme développement – sous-développement. Pour cela, elle rompra avec la logique de l’histoire comme succession d’événements survenus au cours des siècles. Concrètement, elle étudiera la misère intellectuelle, la misère physiologique, et la misère économique comme produits qui masquent le processus d’accumulation et de légitimation du capital. L’attitude requise pour l’amélioration des conditions de vie ou de survie ne peut se former que par et dans la lutte de dépassement du capital. (…) Au lieu de l’équité, l’école de développement prônera l’égalité ; à la place du développement du capital humain, elle mettra l’explication des capacités physico-mentales des étudiants en vue de la pleine réalisation de l’homme Haïtien >>2.

2- Système d’éducation, aliénation et patriotisme.

Malgré la dépersonnalisation continue, et l’aliénation effective du système éducatif haïtien, tout au cours de l’histoire, nous avons assisté au soubresaut d’éveil de la conscience des jeunes du milieu scolaire et universitaire. La capacité de résistance qui a débouché sur la grande révolution de 1789 se couve encore dans les âmes de chaque Haïtien authentique même de manière latente. Les assauts menés contre la potentialité de résistance de ce peuple à travers la déconstitution, l’infériorisation, la diabolisation systématique de son schème culturel et de ses manières de percevoir le monde, n’ont jamais abouti véritablement à dépersonnaliser et à zombifier totalement les éléments de la nation.

Malgré le caractère aliénant de notre éducation, le milieu estudiantin haïtien est secoué périodiquement par de fortes poussées nationalistes. En 1929, sous l’occupation américaine, la jeunesse étudiante haïtienne pose, d’une étonnante manière, son premier acte de combat. La grève de Damiens et les puissantes vagues de manifestations qui s’ensuivent ouvrent la voie à une époque d’interventions intermittentes des étudiants haïtiens dans la vie politique du pays.

1 Préface du livre Instruction publique en Haïti d’ E. Brutus.
2Jn. Anil L. Juste. De la crise de l’éducation à l’éducation de la crise en Haïti. Page 104.

A partir de cette date, la jeunesse étudiante haïtienne reviendra assez souvent dans la mêlée, pour jouer un rôle spécifique dans toutes les grandes crises politiques qui secouent le pays depuis 1929. Ainsi, rapporte H. Malfan, << en janvier 1946, la fermeture du journal La Ruche, édité par de jeunes étudiants, et le déclenchement subséquent de grèves et manifestations étudiantes servent de détonateur au vaste mouvement populaire qui va emporter le gouvernement de Lescot et ouvrir une période d’essor du mouvement démocratique de masse en Haïti »1. Après les manifestations en mai 1956, qui ont précipité le renversement de Paul Magloire, le mouvement étudiant allait se constituer en un véritable mouvement organisé, mais, elle allait rapidement connaître de graves difficultés pendant la longue période des Duvalier jusqu’à l’hécatombe de 1969. Malgré le bâillonnement et les assassinats des années 1970, la mort des trois élèves aux Gonaïves allait jouer un grand rôle dans le renversement de la dictature duvaliérienne. Et plus près de nous, en 2004, nous pouvons nous rappeler les grandes mobilisations contre le pouvoir de J.B. Aristide, et aujourd’hui encore la grande mobilisation pour les deux cent gourdes de salaire minimum lancée par la faculté des Sciences Humaines.

Malgré les menées des gouvernements pour éliminer toute forme de politisation, comme par exemple, la manifestation d’aucune volonté d’aménager un campus universitaire pour la réunion de toutes les facultés, l’espace universitaire, reste un lieu de débat politique par excellence.

Ce qui explique, que malgré la tendance ségrégative du système éducatif, il existe une potentialité de réveil, chez les jeunes, qu’il faut prendre en considération dans toute tentative de lutte pour la transformation du système. Mais, en faisant cette prise en compte, on ne doit pas oublier que, comme l’a écrit Suzy Castor dans << Étudiants et luttes sociales dans la caraïbe » :

<< Une université n’existe pas dans le vide, mais dans une société donnée. Son fonctionnement est toujours conditionné par la société où elle se trouve et son rôle principal est d’en satisfaire les nécessités. Par conséquent, toute université assure la reproduction et la transmission des valeurs idéologiques, culturelles et scientifiques d’un système. Elle forme des cadres scientifiques et techniques et administratifs nécessaires à son fonctionnement et à sa continuité »2.

C’est l’une des raisons qui explique que l’une des lacunes du mouvement étudiant haïtien, est selon H. Malfan, son manque de continuité historique. Aux flambées sporadiques, succèdent des périodes d’accalmie ou même de mort apparente ; le mouvement succombant soit à la répression politique, soit à ses faiblesses et dissensions internes, soit à son isolement, en l’absence dans le milieu d’autres organisations similaires dont la solidarité l’aurait aidé à survivre. Ainsi, chaque résurgence du mouvement étudiant se présente comme un démarrage à zéro, les actions antérieures étant, dans l’intervalle, tombées dans l’oubli.

L’école, l’université, comme espace de reproduction, constitue également les lieux où se maintiennent les étincelles d’espoir d’une potentielle transformation, parce qu’ils sont les lieux d’échanges et de brassages idéologiques. Si les actions posées par les étudiants sont ramassées par une classe populaire véridiquement progressiste, ces explosions sporadiques peuvent se transformer en de vraies actions révolutionnaires, s’inscrivant dans une logique de changement radical.

1 H. Malfan. Cinq décennies d’histoire du mouvement étudiant haïtien. Édition << Jeune Clarté », Montréal – New-York, 1981. Page 9.
2 Cité Jn. Anil L. Juste. Jn. Anil L. Juste. De la crise de l’éducation à l’éducation de la crise en Haïti. Imprimeur II, Port-au-Prince, 2003. Page 115. Page 156.

3- Les limites de toutes actions visant la transformation du système aliénant d’éducation d’Haïti

En remontant les racines historiques du développement endogène du système éducatif haïtien, nous avons pu établir les fondements de l’aliénation inhérente à sa personnalité. Ce système, qui forme des milliers de jeunes désorientés, dépendants, incapables de s’assumer comme citoyens, souffrant de complexe d’infériorité. Mais, l’école n’est pas une institution isolée des autres rouages de reproduction et de maintien du système en place. En plus, les problèmes liés à l’éducation ne peuvent être abordés sans une prise en compte globale de tous les champs du social. Comme par exemple, la dégradation de l’environnement, le chômage, la misère accrue des masses paysannes et urbaines et à un certain niveau, des problématiques éducationnelles. L’éducation n’est pas seulement un problème politique par excellence, elle est également liée à l’économie, à la culture et à toutes les autres branches du social. « La crise de l’éducation, explique Jn. Anil, ne doit pas être étudiée en dehors des pratiques d’exploitation et de domination de la paysannerie haïtienne, et des comportements compradores du capital servile haïtien (…) »1. La crise de l’éducation s’inscrit dans la crise générale du capitalisme, et de sa non-adaptation sur le terrain haïtien.

Dans le chapitre qui va suivre nous allons faire des propositions pour la mise en place d’une école qui n’aliène pas. Un espace scolaire démocratique, où les personnes apprendront à s’assumer totalement comme acteur social. Mais, cette lutte pour une autre forme d’école, si elle ne s’insère pas dans une prise de position radicale pour la transformation du système global.

1 Jn. Anil L. Juste. Op.cit Page 145. Page 133.

<< L’école, selon Jn. Anil, reproduit et renforce les inégalités sociales, mais la situation se produit dans une praxis sociale globale d’exploitation et de domination. L’introduction des valeurs de solidarité, d’entraide et de participation n’aura pas la vertu de rendre l’école démocratique. (…) Puisqu’en dernier lieu, il est impossible de couper l’école d’autres praxis sociales qui se font dans la rue, à la maison, aux jardins, etc. >>1.

C’est dans ce contexte que le point de départ de toute action transformationnelle ayant rapport à l’éducation doit viser en premier lieu la conscientisation, la politisation de la masse. Politiser ici, ce n’est pas tenir des discours politiques mystificateurs, mais assurer la prise en compte de l’éducation des masses, de l’élévation de leur pensée. C’est, selon F. Fanon, << s’acharner avec rage à faire comprendre aux masses que tout dépend d’elles, que si nous stagnons c’est de leur faute et que si nous avançons, c’est aussi de leur faute, qu’il n’y a pas de démiurge, qu’il n’y a pas d’homme illustre et responsable de tout, mais que le démiurge c’est le peuple et que les mains magiciennes ne sont en définitive que les mains du peuple. (…)Politiser, c’est ouvrir l’esprit, c’est éveiller l’esprit, mettre au monde l’esprit >>2. C’est comme le disait Césaire : << Inventer des âmes >>.

Ce travail de conscientisation, de politisation, mènera le peuple à remettre en question la légitimité d’un gouvernement incapable de mener à bien la barque de la nation, à reconnaître son droit à l’alimentation, à l’éducation, au logement et au travail décent. Et son devoir de peuple de lutter pour le respect de ces droits. Au regard de l’ampleur de ce travail, la classe dominante peut-elle assumer cette lourde tâche politique de conscientiser les masses populaires ? Jn. Anil, au travers de la méthodologie de l’éducation populaire, répond par la négative. Il soutient que :

<< Le point de départ doit être toujours la situation sociale d’injustice vécue par les masses populaires, et la communication horizontale, l’instrument d’interaction dans la déconstruction de l’hégémonie dominante. En ce sens, l’État qui feint toujours de servir tous les intérêts dans la société, ne saurait être l’agent communicationnel approprié, puisque la réalité donne à observer qu’il agit souvent dans le sens de la défense des classes oligarchiques haïtiennes >>3.

Donc, ce travail revient à la classe populaire organisée, conscientisée, et imprégnée de son rôle historique de révolutionner les rapports de production aliénants qui dominent dans la société.

1 Ibid. Page 101-102.
2 F. Fanon. Op.cit, page 93. Page 133.
3 Jn. Anil L. Juste. Op.cit page 145. Page 115.

Lire la suite « Problématique fonctionnelle de l’école haïtienne, part 2 »

Problématique fonctionnelle de l’Ecole haïtienne. (part 1)

Texte de Kathia RIDOR, 2009

A- Les facteurs de continuation de la dérive du système éducatif haïtien.

La caricature de démocratisation amorcée au cours de la seconde moitié du 20e siècle allait continuer tranquillement sa route avec tout son cortège de contradiction. Avec la passation du pouvoir par son père à Jean-Claude Duvalier, le système éducatif allait connaître de profondes transformations, sous la poussée d’une vaste réforme suggérée par les organismes internationaux, de plus en plus intégrés au contrôle de notre espace pédagogique. A travers les paragraphes qui vont suivre, nous nous proposons d’amorcer une analyse de la réforme baptisée du nom de Bernard, sans omettre de signaler ses limites et de dégager les facteurs qui ont contribué à dynamiser la dérive du système éducatif haïtien et à la continuation de son processus d’aliénation.

1- Les racines politico-économiques des courants du négativisme dans le corps éducatif haïtien, et la mise en place de la réforme.

La montée de Jean-Claude Duvalier au pouvoir amorce de façon plus ouverte la prise de contrôle par les organismes étrangers du système éducatif haïtien et des autres secteurs clef de la vie politico-économique nationale. A la faveur d’un relâchement des détenteurs du pouvoir dans la gestion de la chose publique, l’influence des organismes étrangers s’avère recrudescente. C’est ce que traduit le tableau ci-après de Charles Tardieu.

 Tableau 3 Sphères d’influences étrangères sur le système d’enseignement1.

Pays et/ou organisation Zones d’influence privilégiée
Canada -Ecole d’agriculture

Ecole de gestion et de comptabilité

-Ecoles techniques

-Ministère Education Nationale (restructuration administrative).

France -Institut Pédagogique National :

Préparation du curriculum de la réforme.

Formations maîtres écoles publiques.

Etats-Unis d’Amérique -Alphabétisation

-Curriculum écoles privées

-Formations maîtres écoles privées -Préscolaire

Banque Mondial Infrastructures scolaires :

Ecoles primaires

Ecoles techniques et professionnelles

BID Ecoles rurales
UNESCO Ministère de l’Éducation Nationale -Institut Pédagogique National -Alphabétisation
BID/OEA -Institut National de la Formation Professionnelle -Centre Pilote de Formation Professionnelle.

Planification nationale de la formation professionnelle. Curriculum de la formation professionnelle.

Formation des maîtres

Formation des étudiants

Ce tableau montre la volonté de la communauté internationale de se substituer au gouvernement haïtien dans la définition des grandes lignes de la politique éducative du pays. C’est ainsi que, sous la poussée de ces organismes, le système éducatif, au cours des années 1970, allait entrer dans une autre ère.

1 Charles Tardieu. Op. cit, page 12. Page 190.

La configuration générale du fonctionnement et de la structuration du système scolaire n’a pas changé avec la montée au pouvoir de Duvalier fils. Les flux de demande augmentent de plus en plus, l’incapacité ou le manque de volonté du gouvernement de répondre aux besoins de la population au niveau de l’instruction s’affiche de manière ostentatoire. L’exode rural qui se traduit dans le délaissement des provinces accentue les difficultés que le gouvernement aurait rencontrées dans une tentative de planification de l’enseignement, pour combler le vide laissé par l’État dans le domaine éducatif. Les écoles laïques privées continuent de pulluler dans les grandes villes, fondées le plus souvent par des diplômés d’études secondaires sans emploi qui engagent, à leur tour, des non diplômés, souvent mal rémunérés.

À cette époque également, selon L.A. Joint1, << les écoles de la mission protestante, dirigées et administrées par les représentants d’une Église ou d’une secte protestante >>, continuent de s’implanter à un rythme effréné dans le pays. << Comme dans les écoles presbytérales, les enseignants sont choisis en fonction de leurs qualités professionnelles, leur appartenance religieuse et leur engagement dans la mission. Mais à côté de certaines écoles protestantes bien équipées en ville, on trouve aussi de nombreuses petites écoles protestantes sous-équipés, disséminées dans les villages et les quartiers populaires dirigées par des prédicateurs >>2En gros, la démocratisation, enclenchée à la fin de l’occupation, n’avait pour résultat concret que la création de certains locaux scolaires, et la centralisation de l’instruction dans les villes.

Vers la fin des années 1970, << sous le diktat des organismes internationaux comme l’UNESCO et la Banque Mondiale, les dirigeants Haïtiens ont préconisé une réforme éducative, à l’instar des réformes opérées dans les autres PMA (pays moins avancés). Cette réforme éducative a été aussi pensée par des techniciens Haïtiens vivant à l’étranger. (…) Ces techniciens sont rentrés en Haïti pour favoriser la mise en place de la réforme éducative. C’est le cas du Ministre Joseph C. Bernard qui, deux mois après sa nomination, a lancé cette réforme. Il a été désigné par l’UNESCO pour entreprendre cette réforme. C’est aussi le cas de Frantz Lofficial, un des responsables de l’IPN (Institut Pédagogique National) qui était le fer de lance de la réforme >>3.

Toujours selon L.A. Joint et L. Hurbon, et également G. Michel dans le texte : <<L’école aux Antilles >>, les réformateurs reprochaient à l’ancien système éducatif son élitisme. Dans une étude réalisée par Frantz Lofficial4, sur << une cohorte de 57.938 élèves inscrits à la première année primaire en 1966-67 en milieu rural, seuls 17.784 élèves (30.7%) passent l’année suivante en << cours préparatoire >>.

1 L.A. Joint; Lannec Hurbon. Système éducatif et inégalités sociales en Haïti. Éditions l’Harmattan. Paris, 2007. Page 114.
2 Ibid. Page 114 (En 1920, il y avait 2% des Haïti protestants. En 1997, selon Fritz Fontus 40% des Haïtiens en zones urbaines et 25% en zones rurales sont affiliés aux religions protestantes. Voir Fontus, Fritz : << Les Églises protestantes en Haïti. Paris, Éditions l’Harmattan, 2001. page 87- 88). (Noté par l’auteur.
3 Ibid. Page 115.
4 Lofficial Frantz. Créole, Français: Une fausse querelle. Bilinguisme et réforme de l’enseignement en Haïti. (Cité par L.A. Joint, dans le livre précité. Page 115).

D’après une étude du service de l’enseignement rural, citée par Lofficial, seuls 677, soit 1.5%, ont obtenu en 1973 leur CEP (Certificat d’Études Primaires). Cette étude montre aussi qu’en 1972, << 52,5% des enfants inscrits occupent des classes enfantines. Parmi eux, 39% abandonnent dès la première année, 44.5% redoublent, et seulement 20% vont être promus en classes supérieures. 31% des enfants inscrits abandonnent le système scolaire avant le CEP ; 40% redoublent au moins une fois chaque classe et seulement 30% sont promus en CEP qui peut être considéré comme seuil d’alphabétisation >>1.

Devant cette situation, les réformateurs proposaient une restructuration tant administrative que pédagogique et estimaient que la réforme devait viser un changement de toutes les structures aliénantes qui empêchent le développement du pays.

<< Ils critiquaient la rigidité linéaire du système traditionnel qui offre une seule option socialement valorisée : Le Certificat d’Études Primaires (CEP) du niveau primaire, suivi du Baccalauréat général du niveau secondaire. Les passerelles, comme le brevet élémentaire ou les écoles techniques et professionnelles ont été des voies sous-estimées ou marginalisées dans l’ensemble. Ils déploraient aussi l’inadaptation des programmes scolaires qui explique la caducité de l’ancien système. (…) Aux yeux des réformateurs, le problème de la langue d’enseignement constituaient un obstacle à surmonter >>2.

En gros, comme par magie, le programme de la réforme veut la libération de l’Haïtien pour l’amener à être un citoyen dynamique, discipliné et pleinement responsable. Selon eux, le système scolaire doit être démocratique, accessible à tous; il doit porter tant sur les travaux de l’esprit que sur les travaux manuels et préparer à l’éducation permanente. Ils ont proposé des objectifs pour chaque cycle et ont mis grandement l’accent sur la question linguistique, en soulignant que, pour des raisons d’efficacité et de rapidité, << le créole est retenu comme la principale langue d’enseignement pendant les cinq premières années de l’enseignement fondamental >>3. Dans la conception des réformateurs, l’enseignement obligatoire en français dès la première année de l’école primaire constitue un handicap dans le système traditionnel, et une des principales causes de la déperdition scolaire. Dans son discours du 20 mai 1979, rapporte L.A Joint dans le texte précité, le Ministre Bernard précise : << Cette décision d’utiliser le créole, la langue maternelle du jeune Haïtien dans les cycles d’enseignement, repose sur la prise de conscience de la non fonctionnalité de l’usage du français comme première langue >>. Mais dans quelle mesure cette disposition était-elle assimilée par la mentalité collective ? Au regard de la longue histoire de l’institution des rouages de déstructuration des esprits et d’infériorisation permanente de la langue vernaculaire de la population, cette réforme, voulant rentrer directement en conflit avec un des grands points de l’aliénation du système, et elle-même incuber hors des champs accessibles à la grande majorité de la population, allait connaître de profonds déboires, qui, jusqu’aujourd’hui empêchent encore sa mise en application véritable.

1 Ibid. Page 116.
2 Ibid. Page 116
3 MENJS: Buts, Objectifs, Caractéristiques d’une rénovation de l’enseignement primaire, IPN, comité de Curriculum, juin 1976. Pages 38.

Pour asseoir le projet de la réforme dans la réalité, le gouvernement a mis en place des dispositifs institutionnels, comme la promulgation d’une loi. En effet, << la loi du 28 septembre 1979, détermine le statut juridique et les dispositifs institutionnels de la réforme. Les préambules de cette loi précisent que le service de l’enseignement est fusionné avec l’enseignement primaire urbain par le décret de 7 mars 1978. Selon cette << Loi organique » du département de l’Éducation nationale, les objectifs de la réforme coïncident avec un nouveau projet de société plus égalitaire »1. Cette loi est considérée comme l’instrument institutionnel pour la gestion de la réforme. Elle en détermine les principes administratifs et organisationnels2 qui sont les suivants :

– Éradiquer l’analphabétisme à l’horizon de l’an 2000.

– Rendre accessible au plus grand nombre possible d’enfants l’éducation de base.

– Rationaliser les modes de gestion et de fonctionnement du système.

– Renouveler la pédagogie.

– Dynamiser le personnel enseignant. – Adapter et moderniser les contenus. – Intégrer l’enseignement technique à l’enseignement général.

Le second texte de loi, en date du 30 mars 1982, définit les objectifs généraux de l’éducation, les dispositions communes et les dispositions particulières aux différentes structures d’enseignement et de formation. Le chapitre IV porte sur l’utilisation des langues dans l’enseignement fondamental.

 Les articles3 touchant la langue d’enseignement sont :

Article 29 : Le créole est langue d’enseignement et langue enseignée tout au long de l’école fondamentale.

Le français est langue enseignée tout au long de l’école fondamentale, et langue d’enseignement à partir de la 6e année.

Article 30 : En 5e année de l’enseignement fondamental,

l’enseignement du français est renforcé en vue de son utilisation comme langue d’enseignement en 6e année.

Article 31 : Un plan d’étude fixe de façon précise l’articulation

pédagogique pour chaque cycle et chaque année en rapport avec les dispositions des articles 34 et 35. Dans tous les cas, à partir de la 6e année, le volume horaire réservé, soit au français, soit au créole, dans le plan d’étude d’enseignement, ne peut être inférieur à 25 % de l’horaire hebdomadaire.

Article 35 Les dispositions du présent décret entreront en application dès sa publication et au fur et à mesure de l’implantation de la réforme.
  1 MENJS : Loi organique du département de l’éducation nationale, Port-au-Prince, mars 1981, page1.
2 Cité par J. Rodrigue A quand la réforme de l’Éducation en Haïti ? Une analyse et des propositions pour agir. Marquis imprimeur inc. Québec, Canada, 2008. Page 30
3 Ibid. Page 30.

 La réforme, en voulant mettre l’accent sur l’utilisation du créole comme langue d’enseignement, même de manière controversée, a eu, selon L.A. Joint, un caractère << révolutionnaire >>, vu la façon dont le problème linguistique était abordé dans le pays jusque là. Et, de plus, en remettant en question l’utilisation << de programmes scolaires, empruntés du modèle français et proposés par les missionnaires qui dirigent les grandes Écoles congréganistes, mis en œuvre sans un effort d’acculturation >>1, présente au premier abord le caractère désaliénant de la réforme. Mais cette idéologie de la revendication de l’authenticité haïtienne qu’affiche la reforme, laisse un biais, selon les analystes Joint et L. Hurbon. Pour ces derniers, toujours dans le texte précité, << Les systèmes scolaires ne sont pas transposables, du fait de leur développement endogène et de leur réappropriation dont ils font l’objet même en cas d’importation par les populations. Si les savoirs scolaires diffusés, mais peu réappropriés, s’étaient maintenus avant la réforme de 1979, c’était parce qu’ils répondaient aux attentes d’une minorité dominante de la population haïtienne par laquelle le système d’enseignement était conçu >>2.

En effet, la structuration aliénante du système éducatif ne s’est pas conçue au hasard. Notre étude a mis en exergue les racines historiques de cette aliénation. Ce n’est justement pas tant la reproduction du modèle français qui explique le déracinement du système, mais la question à se poser, c’est : << Pourquoi veut-on copier le modèle français ? Son application dans le pays répond à quelle logique ? Qu’est-ce-qui a toujours empêché la remise en question du fonctionnement et de la structuration du système pendant ce siècle et demi de progression boiteuse ?

1 L. A. Joint, L. Hurbon. Op.cit, page 132. Page 116.
2 Ibid. Page 117

 Si l’éducation est une chose politique par excellence, la langue en Haïti, également est un problème politique. On agite la guerre créole/français toujours dans un souci de faire diversion, et diverger les regards sur les vraies questions. La réforme, malgré ces visées au changement, allait connaître de sérieux déboires, parce que justement, elle a immunisé les problèmes auxquels s’affronte le système éducatif contre leur caractère politique, la lutte de classes qui se font sentir jusqu’au tréfonds de notre entité nationale. Une réforme éducative sérieuse, ne peut se préparer dans les bureaux fumeux des experts, sponsorisés par des organismes internationaux, sans aucune participation des acteurs concernés directement par le secteur, comme les apprenants, les parents, les enseignants, la communauté, etc. La population est toujours considérée comme tarée, incapable de comprendre, donc d’intervenir dans les décisions ayant rapport à la prise en charge de son destin de peuple. C’est ainsi que rapidement, en plus des difficultés politiques et économiques auxquelles la réforme allait se confronter, comme par exemple : le manque de volonté politique du gouvernement d’investir dans la réussite de la réforme, le délabrement des locaux, le manque de formation des enseignants. L’autre obstacle majeur à la réussite de la réforme était, toujours selon L.A. Joint et L. Hurbon, d’ordre socio-linguistique.

Ces auteurs expliquent que : << Pour des raisons différentes et selon les couches sociales, il y avait un manque d’adhésion à l’égard de la réforme, à cause de l’introduction du créole dans l’enseignement. Selon des inspecteurs scolaires, les parents aisés pensent que c’est le créole qui est enseigné et que rien ne se fait en français. Soucieux de l’instruction de leurs enfants en français, les parents les retiraient des classes-réforme. Les familles de la classe populaire, à leur tour, considéraient cette réforme comme une tentative des classes dirigeantes d’enfermer leurs enfants dans << un ghetto créole >>, leur empêchant toute promotion sociale. D’un autre côté, selon les mêmes inspecteurs scolaires, beaucoup d’instituteurs auraient << manoeuvré pour le déchoucage >> des livres de la réforme qui retiraient leur << privilège >> d’enseigner en français et qui << dévalorisaient >> leurs statuts >>1.

M. Giraud et L. Gani, dans le texte << L’école aux Antilles >>2, rapportent que le Ministre de l’Education Nationale, Rosny Desroches, en 1987-1988, faisant une évaluation des sept premières années de la réforme, estimait que le << caractère radicalement novateur de la réforme s’opposait à l’ensemble des valeurs et des pratiques d’une société bloquée >>. D’après R. Desroches, toujours selon les auteurs, << à la chute de Duvalier en février 1986, Haïti se trouvait dans une << situation paradoxale >>. D’une part, l’emploi du français était mal vu dans certaines circonstances, surtout dans la politique ; d’autre part, au nom du rejet du même créole, on va jusqu’à déchouquer certaines classes ou écoles de la réforme appelées péjorativement << écoles Jean-Claude Duvalier >>. Cette réaction populaire traduit l’angoisse des parents face à l’avenir de leurs enfants et leur incompréhension de l’esprit de la réforme.

1 Ibid. Page 129.
2 Michel, Giraud, Gani, Léon, Manesse, Danielle. L’École aux Antilles : Langues et échec scolaire. Editions Karthala, Paris, 2000. Page 30.

2- La réforme aujourd’hui, et plus de deux siècles d’une aliénation continue.

La réforme en elle-même, en dépit du fait qu’elle représente un acte politique majeur, ne s’est pas départie de l’aliénation effective dans presque toutes les sphères du social haïtien. Malgré l’apparence d’haïtianité qui auréole la réforme, elle est une entreprise pensée de l’extérieur par des organismes comme l’UNESCO, financée également par eux. De l’autre côté, soutient C. Tardieu, << Les investissements, directs ou indirects, de plus en plus importants consentis par un nombre grandissant d’agences de gouvernements étrangers ainsi que les initiatives que peuvent prendre ces agences avec ou sans l’accord du gouvernement haïtien, confirment la démission des autorités nationales dans le secteur de l’éducation et de l’instruction publique >>1. La réforme, au lieu de combler le grand fossé de l’inégalité scolaire, l’a renforcé au plus haut point. Il s’est dessiné à l’horizon la mise en place non pas d’un, mais de deux systèmes scolaires parallèles.

<< Le premier, presque exclusivement réservé à l’élite, serait en réalité le système traditionnel sur lequel le gouvernement haïtien aurait peu ou pas de prise – ostensiblement par démission plutôt que par impossibilité – quant à son fonctionnement, sa structure et les contenus éducatifs véhiculés. Le second, sous l’influence directe du gouvernement, et le seul à tomber sous le coup de la réforme, s’adresserait aux couches défavorisées des masses urbaines et rurales. Cette réforme aurait été rendue nécessaire par la nouvelle place assignée à Haïti dans la division internationale du travail et un de ses objectifs cachés serait alors la socialisation efficace de cette population en vue de son utilisation dans le système de reproduction capitaliste. Dans ce sens, l’instruction réservée aux élites haïtiennes ne nécessite que des changements mineurs qui ne peuvent être réalisés sans une réforme en profondeur >>2.

Et l’instruction, organisée selon un modèle à satisfaire les besoins de la bourgeoisie, ne pouvait être accessible aux visées éducatives de la masse. D’où la nécessité de la mise en place d’une réforme. Alors, la pensée même de la mise en place de la réforme est discriminatoire, donc aliénante socialement. Du point de vue de L. A. Joint et L. Hurbon, malgré la tendance de la réforme à vouloir adapter l’enseignement à la réalité socio-linguistique du peuple Haïtien :

1 C. Tardieu. Op.cit, page 12. Page 188.
2 Michel, Giraud, Gani, Léon, Manesse, Danielle. L’École aux Antilles : Langues et échec scolaire. Éditions Karthala, Paris, 2000. Page 188.

<< La logique traditionnelle d’inégalité des chances scolaires qui régit les orientations de l’enseignement Haïtien, se déplace mais ne change pas profondément. La réforme cherche à promouvoir les différences individuelles, c’est-à-dire à donner des chances d’instruction et de formation aux individus selon leur propre capacité. Or, les différences individuelles sont généralement basées sur les différences sociales. Les élites haïtiennes ont toujours utilisé les différences individuelles pour faire de l’éducation un instrument de reproduction des inégalités sociales, Au fond, la logique de la réforme de 1979 semble bien être de dispenser l’instruction de base et l’alphabétisation au plus grand nombre et de sélectionner parmi les alphabétisés des éléments pour renforcer la classe des élites. Son but n’est pas de démocratiser l’enseignement à tous les niveaux >>1.

Pour éclairer mieux ce point de vue les auteurs avancent comme exemple, que après le premier cycle de 4 ans ou le deuxième cycle de 6 ans de l’enseignement fondamental, l’enfant qui n’arrive pas à s’adapter au système formel d’enseignement, peut être orienté vers les branches techniques pour être rentable sur le marché du travail. Cependant, étant donné l’état des lieux du système, le manque de structures d’accueil du secteur technique et professionnel, la majorité des enfants de la paysannerie sont condamnés à rester au niveau du premier cycle de 4 ans ou du deuxième cycle de 6 ans, le temps suffisant pour une simple alphabétisation. Par manque de structures d’accueil et de formation permanente, ces enfants alphabétisés risquent, livrés à eux-mêmes, de devenir illettrés.

En fin de compte, la réforme, de par sa gestation même, ne pouvait révolutionner le système aliénant d’éducation institué historiquement pour maintenir le capitalisme, attardé fonctionnel à l’intérieur du pays. Au contraire, dans une certaine mesure, elle travaillait à rendre ce système plus fonctionnel, car les objectifs poursuivis par le réseau d’organisation internationale étaient la scolarisation-socialisation d`un plus grand nombre de futurs travailleurs dont aura besoin le système pour assurer sa reproduction. << Ceci expliquerait entre autres, renforce C. Tardieu, pourquoi malgré tous les rapports négatifs2 quant aux résultats pédagogiques obtenus dans le secteur de la réforme, les organisations internationales et plus particulièrement la Banque mondiale augmentent continuellement les fonds alloués à la réforme sans exiger les corrections que recommandent les évaluateurs >>3. Connaissant les trajectoires tortueuses des << aides >> internationaux et leurs capacités notoires de mystification, la réforme financée exclusivement par les organismes étrangers ne pouvait répondre totalement aux besoins nationaux. Leurs intégrations de plus en plus poussées dans la gérance de la chose publique, s’expliquent par une démission de l’État Haïtien du domaine public. Ceci se concrétise, explique C. Tardieu, par la distribution de zones d’influence pour les institutions jugées importantes par les organismes étrangers. Ainsi donc, il n’y a pas généralisation d’une réforme, mais bien sélection d’institutions à investir par l’étranger.

1 L. A. Joint ; L. Hurbon. Système éducatif et inégalités sociales en Haïti. Edition l’Hamarttan, Paris, 2007. Page129.
2 Voir à ce sujet le rapport préparé par Locher, Malan et Pierre-Jacques pour le compte de la Banque Mondiale: Évaluation de la réforme educative en Haïti. Page 163; Voir aussi de Uli Locher, Educational Reform in Haïti… (1988). Page 18. (Cité par Charles Tardieu. Page 191).
3 C. Tardieu. Op.cit page 12. Page 189-191.

La tentative de rénovation de l’école haïtienne, entamée avec la réforme, se poursuit jusqu’à nos jours. La langue créole n’est plus tout-à-fait bannie dans les espaces scolaires. Dans une plus large mesure, cette langue s’est fait une place minoritaire à côté du français. La constitution de 1987 l’a même promu langue officielle, après plus d’un siècle et demi d’histoire. Mais si pour G. Michel et L. Gani, il est trop tôt aujourd’hui de clamer la banqueroute totale de la réforme, J. Rodrigue dans un texte assez récent, juge que : << Cette réforme éducative, qui devait assurer une certaine cohérence à notre système d’éducation a malheureusement échoué. En effet vingt-cinq ans après que l’État haïtien eut décrété cette réforme, les différentes lacunes qu’accusait le système (obsolescence du discours scolaire, archaïsme des méthodes d’enseignement, insuffisance de l’enseignement ou plutôt superposition de plusieurs types d’écoles, etc.) n’ont toujours pas été corrigées >>1. Nous pouvons ajouter que la rupture tant attendue d’avec les systèmes de valeur qui ont servi de base à la maintenance du système colonial esclavagiste, n’a pas été effective. L’école continue d’être le haut lieu d’exhumation de l’âme haïtienne.

 Le même auteur, dans le livre intitulé << crise de l’éducation et crise du développement >>, a fait une analyse assez intéressante de certaines matières du programme scolaire pour montrer, selon son expression << le déracinement du système >>. Il rapporte que sur l’enseignement du français : << Sur 128 textes littéraires que comprend Le français par les textes de V. Bouillot (adaptation de O. R. Fombrun), 16 d’entre eux seulement, soit 12.5 %, sont de source haïtienne. Des 101 textes que comporte Le manuel de lecture courante des Frères de l’Instruction Chrétienne, 12 seulement sont des productions d’auteurs haïtiens. Les 89 autres sont empruntés à des auteurs étrangers. Mais, parmi ceux-ci, les auteurs français ont une grande fréquence d’utilisation >>2. Nous pouvons ajouter que dans les manuels de lecture en utilisation de nos jours, dans les classes de première année fondamentale, intitulée Je lis et Je parle avec plaisir, la quasi-totalité des textes n’ont aucun rapport avec la réalité sociale haïtienne, et les illustrations présentent des enfants aux visages caucasiens et des paysages différents de l’environnement local.

1 J. Rodrigue. Op.cit, page 134.. Page 15-16.
2 J. Rodrigue. Crise de l’éducation et crise du développement. Page 34.

L’enseignement de l’Histoire et de la Géographie présente les mêmes configurations : << Outre l’imposition d’un arbitraire culturel étranger, il y a aussi les silences ou les mensonges de l’enseignement de l’histoire. D’abord, ils sont résolument tournés vers le passé, un passé défini : L’histoire qui se déroule et la géographie qui se crée : l’histoire et la géographie d’un espace que les Haïtiens, dans la production sociale de leur existence, créent et façonnent, sont laissées complètement de côté »1. Et avec la méthode de la mémorisation à outrance instituée, les sciences sociales deviennent des matières mortes, démunies de leurs importances dans la construction de l’identité nationale. << Il n’existe aucune différence fondamentale entre le cours d’histoire du réseau primaire et celui du réseau secondaire-supérieur, sinon un grand souci du détail. L’enseignement secondaire de l’histoire s’applique à reconstituer les événements d’une manière certes plus saisissante, mais sans toutefois les articuler à la lutte que se livrent les classes et les groupes sociaux »2.

La plus ridicule des matières enseignées dans nos écoles, est sans nul doute la Philosophie. Une philosophie totalement déracinée, constituée en un ramassis de disciplines différentes : Logique, Métaphysique, Morale, Psychologie, etc. C’est une philosophie tournée vers un occident qui n’existe plus, coupée du monde national et international. L’auteur avance qu’ : << Enseigner aux jeunes quelques éléments de métaphysique et de philosophie positive (Descartes, Comte, Bergson, Russell et Kant), commenter les commentaires des commentateurs, voilà l’essentiel de leur tâche. Ils enseignent aux jeunes Haïtiens le respect de la loi et la constitution, alors que celles-ci sont quotidiennement et systématiquement violées par ceux-là mêmes qui ont pour fonction de les faire observer. Ils parlent de démocratie libérale, de respect des droits et des libertés individuels, alors que la totalité des institutions sociales fonctionne sur un mode autocratique et répressif »3.

Plus de vingt-cinq ans après le déclenchement de cette réforme, où en est-on aujourd’hui? L’auteur répond que :

<< Vingt ans après que le gouvernement eut lancé sa réforme, le système éducatif reste encore inadapté : les manuels, pour la plupart importés de France et du Canada, transmettent un contenu éducatif qui renvoie à une autre histoire, à d’autres valeurs culturelles et éthiques, à d’autres conditions physiques et humaines que celles dans lesquelles évolue l’écolier haïtien. Il en résulte un certain nombre de phénomènes d’aliénation culturelle, aggravé par le recours à une langue étrangère – le français – comme véhicule de l’enseignement. Ce qui entraîne pour l’élève haïtien des difficultés d’apprentissage et contribue dans une certaine mesure à l’isoler de son environnement »4.

 1 J. Rodrigue. Crise de l’éducation et crise du développement. Même. Page 35.
2 Ibid. Page 36.
3 Ibid. Page 38.
4 J. Rodrigue. Op.cit, page 134. Page 29.

Donc la conclusion pensée par l’auteur il y a des décennies, peut encore être de mise cette réflexion : << L’enseignement de la Philosophie, comme celui des autres matières, est un lieu où les Haïtiens apprennent à se nier en tant qu’êtres, à s’automutiler >>1.

Au niveau du renouvellement de la pédagogie, l’échec de la réforme est tout aussi flagrant : << Le principe de sélection et l’encyclopédisme qu’on a voulu combattre ou faire disparaître dominent encore le système : évaluation normative, classements hiérarchiques, examens normalisés (6e et 9e année fondamentale), apprentissage livresque continu, etc. >>. En somme, les beaux discours de la réforme sur la restructuration scolaire et les pratiques pédagogiques n’ont pas pu prendre pied dans la réalité.

En ce qui a trait à l’alphabétisation, l’un des premiers objectifs de la réforme, le résultat n’a pas beaucoup changé. Depuis les années 1960, le président F. Duvalier a annoncé en grande pompe le lancement de son vaste programme d’alphabétisation. Dans un discours adressé à la nation le vendredi 11 juillet 1958, il annonce que le gouvernement a << conçu et préparé le plan grandiose de procéder, d’une façon méthodique et vigoureuse, à la mise en place d’une organisation capable de combattre en quelques années l’analphabétisme. Véritable fléau national de l’élimination duquel dépendent le fonctionnement harmonieux d’une démocratie réelle et le développement économique >>2. Le programme de la réforme des années 1970, assure le relais, en ayant comme objectif l’éradication de l’analphabétisme à l’horizon de l’an 2000. Ces objectifs n’ont cependant pas été atteints, selon l’avis de J. Rodrigue, nonobstant les programmes d’alphabétisation de masse (Mission Alpha, ONPEP) et la création d’une secrétaire d’État à l’alphabétisation. Tous ces beaux discours étaient mystificateurs, car dans la réalité rien n’y était fait pour éradiquer l’analphabétisme. D’ailleurs, cette situation ne dérangeait pas trop l’élite. Toutefois, selon << le recueil de statistiques sociales >>3, le pourcentage d’analphabètes au sein de la population active a sensiblement régressé. En effet, de 1982 à 2005, il est passé de 65% à 51,9%, soit une baisse de 13%.

1 J. Rodrigue. Crise de l’éducation et crise du développement. Page 38.
2 François Duvalier. Face au peuple et à l’histoire. Port-au-Prince, Édition SID, 1961.
3 MEF (IHSI). Recueil de statistiques sociales. Vol 1, août 2000.

Comme résultat général de la politique globale des longues années des Duvalier, H. Malfan rapporte : << L’aggravation de la misère, de l’ignorance et des conditions sanitaires des masses, un chômage aux proportions chaque jour plus catastrophiques, une inflation qui réduit à néant le pouvoir d’achat déjà dérisoire des masses urbaines et rurales >>1, ce fut en gros le lot des masses populaires, tandis qu’à l’opposé, « une poignée de nantis et de profiteurs ne cessent d’amasser, en un temps record, des richesses fabuleuses >>2.

L’école aujourd’hui, malgré la nette avancée qu’on peut observer dans la fréquentation des locaux scolaires par de jeunes3, ne s’est pas départie du cancer de l’aliénation, comme elle est définie au chapitre 3 de ce travail. Toutes les tentatives de réformes amorcés jusque là n’ont jamais pu considérer la population comme réalité d’être. Le système est toujours dominé par des réseaux d’écoles publiques, privées, catholiques, protestantes, congréganistes, presbytérales et communales. « Ces écoles superposent des enseignements de classe, n’offrent pas la même qualité de services à tous les enfants et, conséquemment, assurent mal leur intégration nationale >>4. L’avènement d’un système scolaire unique, laïc, animé de respect et de tolérance pour toutes les personnes sans distinction de croyances ou de religions, se fait encore attendre. Si les assauts contre le schème religioso-culturel de la masse ont diminué depuis ces vingt dernières années, le discours scolaire, parce que justement dominé par l’évangélisation, continue. La diabolisation et l’infériorisation entamée depuis l’époque coloniale, continue leur travail à travers la conscience du peuple. Les élèves sont toujours empêchés de penser, car le seul outil de communication maîtrisé par eux, continue d’être dévalorisé dans les espaces scolaires. L’étude de Yves Déjean, mentionnée au chapitre 3, où il fait état de la violence avec laquelle on imposait le silence aux apprenants, les empêchant de s’exprimer dans leur langue date des années 2000. L’éducation dépersonnalisante poursuit tranquillement son petit bonhomme de chemin, le complexe d’infériorité qui rend la personne incapable de se constituer en acteur social responsable et actif dans la lutte pour la transformation de son milieu social et physique couve encore dans le système, après plus de deux cent années de décolonisation. Le mental garde ses liens, la conscience sociale de la nation est atrophiée à telle point que même la perte de la souveraineté nationale se fait sans trop d’embûche. L’éducation, de par sa formation et son imbrication dans le système social global aliénant du capitalisme haïtien rabougri, ne peut se départir de l’aliénation congénitale de ce système.

1 H. Malfan. Cinq décennies d’histoire du mouvement étudiant haïtien. Page 88.
2 «43% du revenu national vont à 0.8% de la population. Aux 200 familles millionnaires dénombrées par les organismes internationaux sont venus s’ajouter, de 1974 à 1997 seulement, 3800 autres, disposant de 90.000$ par an, en plus des sommes déposés dans les banques étrangères. (Tiré du livre précité. Page 88).
3 On observe une augmentation constante et rapide de l’effectif des fréquentations au niveau secondaire. De 1982 à 1998, il est passé de 95.600 élèves à 357.896, soit une augmentation de 274%. De 1998 à 2003, le mouvement de scolarisation des jeunes a poursuivi sa marche ascendante; Les inscriptions dans l’enseignement secondaire public et privé sont évaluées à 584.954 pour l’année scolaire 2003-2004. (Source: MEF (IHSI). Recueil de statistiques sociales, Vol. 1, août 2000- MENJS (2005). Fiche d’information sur l’éducation en Haïti. ( Tiré du livre «A quand la réforme éducative en Haïti?… Page 59).
4 J. Rodrigue. Crise de l’éducation et crise du développement. Page 40.

Les organismes internationaux brandissent, depuis l’époque de l’occupation américaine, la défectuosité du système éducatif comme facteur de sous-développement, un discours relayé de l’intérieur par la presse et les politiciens, sans une prise en compte de son caractère mystificateur et aliénant. Les prochains paragraphes seront consacrés à l’analyse de ce phénomène.

par Kathia RIDOR,  Université adventiste d’Haïti. 2009. 
publié en deux parties sur ce blog.