L’évaluation scolaire : d’une conception à une autre

Ce texte traite de l’evaluation scolaire, il a ete redige anterieurement par Nasser A. ABOUBAKER et repris pour publication sur ce blog.

 

Pourquoi avons – nous choisi comme thème de travail la question de l’évaluation scolaire ?

En effet, ce choix est motivé par au moins trois raisons essentielles qui sont :

1 – Tout d’abord, nous pensons que toute action ou projet de formation doit être accompagné d’ un outil d’évaluation ; 2 – ensuite, la question de l’évaluation a connu une évolution importante aussi bien au niveau de la fonction qu’au niveau de l’objet concerné par cet acte ; 3 – enfin, l’acte d’évaluation est actuellement considéré comme un moyen permettant l’amélioration, voire la réussite de l’action didactique.

Pour la clarté de cet exposé, nous allons essayer de présenter le présent travail de la manière suivante :

1 – Définition du terme  » Evaluation « .

2 – Evolution de l’objet de l’acte d’évaluation.

3 – Les différentes conceptions de l’acte d’évaluation.

4 – De l’évaluation sociale à l’évaluation pédagogique.

5 – De l’évaluation formative à l’évaluation formatrice.

 

1 – Définition du terme  » Evaluation « 

Afin de bien saisir le sens du terme  » Evaluation  » nous allons tenter de comprendre ce qui différencie ce terme d’autres termes se trouvant dans le même champ sémantique que lui et qui sont en l’occurrence :  » contrôle  » et  » examen « . Pour ce faire, nous allons nous référer à certains travaux relevant de la littérature spécialisée dans le domaine en question.

Charles HADJI a, dans un de ses travaux, défini le terme  » Evaluation  » en l’opposant au terme  » contrôle « . Dans ce travail , il avance :  » ces deux notions appartiennent à deux ordres différents et renvoient à deux  » épistémologie  » distinctes.  Le contrôle a pour objet de vérifier le degré de conformité entre des phénomènes que l’on rencontre dans une situation donnée, et un modèle de référence préexistant. (…) L’évaluation est un questionnement sur le sens de ce qui se produit dans la situation observée.  Le contrôle doit être objectif, les contrôleurs étant interchangeables, tandis que l’évaluation ne peut être que subjective, l’évaluateur étant irremplaçable.  Le contrôle a une visée totalitaire et ne se satisfait que dans l’achèvement de son action, l’évaluation est un processus partiel et nécessairement inachevé.  Le contrôle mesure les écarts avec un référent constant, l’évaluation est une création continue de référent « .

Quant à l’opposition  » Examen / Evaluation « , on peut la cerner à travers les définitions suivantes :

1 –  » Examen  » ( au sens courant ) épreuve ou ensemble d’épreuves dans une ou plusieurs disciplines – obligatoires – à options facultatives qui permet ( tent ) dans un cadre institutionnel donné d’apprécier le niveau du sujet ( candidat à l’examen ) pour les sélectionner et / ou leur conférer un titre. Au – dessus ou au – dessous d’une certaine moyenne, les candidats sont déclarés reçus ou refusés « .

2 – Evaluation :  » Processus visant à apprécier le rendement scolaire et les difficultés d’apprentissage d’un sujet en regard d’objectifs spécifiques en vue de prendre les meilleures décisions relatives à la planification de son cheminement ultérieur « .

Les définitions présentées, ci – dessus , contiennent des mots que nous trouvons clés et qui nous permettent de mieux appréhender aussi bien la nature de telle ou telle action ainsi que son objectif. Autrement dit, à partir des différentes définitions données aux termes  » contrôle « ,  » examen  » et  » évaluation  » , on peut retenir les distinctions suivantes :

Examen / Evaluation

Examen : apprécier ou sélectionner….. pour conférer un titre ( par exemple)  Evaluation : apprécier pour prendre les meilleures décisions relatives à la planification du cheminement ultérieur de l’action didactique.

Contrôle / Evaluation

Contrôle : objectif, modèle préexistant, mesure de l’écart, acheminement de l’action.  Evaluation : subjective, création continue de modèle, processus partiel et inachevé.

A partir des mots ou idées clés relevées dans les différentes définitions, on peut déjà saisir ce qui distingue l’acte d’évaluation des autres actes, ceci au niveau de l’objectif. Mais, l’appréciation du sens d’un acte reste incomplète si celle – ci ne contient pas d’éléments indiquant sa nature ou le processus de son fonctionnement. A propos de ce point E. ABOUBAKER avance :  » L’acte d’évaluation implique nécessairement la présence de deux données : l’objet de jugement, appelé aussi  » le référé  » et les critères de jugement, appelé aussi  » référent « . Le référé relève du monde du réel et le référent du monde de l’idéal. Autrement dit, dans un acte d’évaluation, on a affaire à deux mondes différents : le monde du concret et le monde de l’abstrait. La comparaison entre les données émanant de ces deux mondes nous permet de porter un jugement de valeur concernant la valeur de ce qui évalué « .

Après avoir défini l’acte d’évaluation par rapport à l’acte de contrôle et d’examen, nous allons essayer de saisir le sens de cet acte à travers l’histoire.

2 – Evolution de l’objet de l’acte d’évaluation

Bien que la pratique de l’évaluation scolaire date depuis maintenant plus d’un siècle, l’emploi de terme  » Evaluation  » dans le sens propre du terme a commencé seulement vers la fin du xix siècle. Avant cette date, dans les ouvrages spécialisés, on utilisait le terme « Docimologie » pour désigner la science des examens. M REUCHLIN dit à propos :  » C’est en 1922 que H. PIERON et D. LANGIER consacrèrent en France, les premières études, réalisées selon les méthodes objectives de la science expérimentale. La docimologie est née. Quelques années plus tard, elle prenait un essor international avec l’enquête de la Fondation Canergie qui réunissait des participants américains, allemands, anglais, écossais, français et suisse « .

Cette situation a conduit à l’élargissement de l’objet d’étude principal de cette branche des sciences de l’éducation pour comprendre tous les moyens ou les instruments utilisés pour évaluer le travail des élèves. M. REUCHLIN évoque aussi cette idée en disant :  » Depuis les travaux de docimologie réalisés avant 1930 par H. PIERON, D. LANGIER et J. WEINBERG, une évolution sensible a marqué le développement de cette  » étude systématique des examens « . La docimologie a vu son domaine s’élargir. Elle ne concerne plus les seuls examens, mais de façon générale, toutes les méthodes utilisées pour porter sur les élèves une appréciation « .

Toutefois, le mouvement de l’évaluation ne s’est pas arrêté à cette étape. Il a connu d’autres stades dans son histoire. Dans sa nouvelle phase, l’action d’évaluation comprend «  l’acte de jugement  » dans sa définition. Elle le considère comme un facteur et une composante essentielle de son action. J. M. BARBIER confirme cette idée et l’évoque comme étant un élément fondamental sans lequel l’action d’évaluation serait incomplète, voire dénuée de tout son sens, ceci en avançant : « Un acte d’évaluation qui parvient à son terme est un acte qui aboutit à la production d’un jugement de valeur. La présence de celui – ci permet de dire s’il y a ou non évaluation. Le jugement de valeur constitue la marque de l’évaluation « .

L’adoption d’une démarche d’évaluation faisant de l’acte de jugement un élément essentiel n’a pas permis à l’acte d’évaluation de jouer un rôle positif dans l’action didactique ; En réalité, comme le dit E. ABOUBAKER,  » le terme  » jugement  » n’implique pas l’amélioration des résultats des élèves. En effet, pour atteindre les buts souhaités de l’action didactique, il faut aller au – delà du jugement porté sur le travail des élèves et proposer, dans le cas de résultats insatisfaisants, un projet d’action approprié à la situation en question « .

Cet état a conduit au dépassement ou au passage du, comme l’appelle G. SCALLON, paradigme «  mesure – évaluation – jugement  » au paradigme  » mesure – évaluation – décision « . Cette idée manifestant une nouvelle perspective de l’action d’évaluation a été présentée par ce chercheur à travers les propos suivants :  » Dans le cadre le l’évolution de la notion d’évaluation en éducation, c’est – à – dire dans un cadre très général, l’avènement du paradigme  » mesure – évaluation – décision  » a permis de donner une certaine perspective dont il faut être conscient : Selon cette conception de l’évaluation, la visée principale de toute démarche évaluative est une prise de décision et non plus un simple jugement. On pourrait alors parler d’évaluation qui, dans un certain sens, s’oppose à la perspective de l’évaluation – jugement ou de l’évaluation – contemplation « .

Le paradigme  » mesure – évaluation – décision  » proposé par G. SCALLON attribue à l’action d’évaluation de nouveaux objectifs et lui ouvre une nouvelle dimension. Autrement dit, comme l’avance E. ABOUBAKER : » La définition qu’on donne actuellement à l’action d’évaluation assigne à celle – ci une nouvelle dimension : alors qu’elle visait initialement et principalement la sélection et l’orientation des élèves, à partir des années 1970, l’acte d’évaluation considère que les résultats des élèves ne sont qu’un moyen permettant un jugement et de prendre une décision au niveau de l’organisation de l’acte d’enseignement / apprentissage « .

En partant du contenu de la dernière citation, nous pouvons dire que la nouvelle définition de l’acte d’évaluation traduit une nouvelle façon de concevoir l’action didactique. En effet, cette conception est née depuis que l’évaluation s’est mise au service de la formation, découle du statut dont bénéficie la question de l’évaluation au sein de la théorie de l’éducation et traduit en même temps une nouvelle façon de concevoir l’action didactique.

Cette nouvelle conception de l’action d’évaluation, qui traduit, comme nous l’avons dit, une nouvelle conception de l’action didactique, marque une évolution importante dans l’histoire de l’enseignement. Celle du passage de la pédagogie dite de transmission de connaissances à la pédagogie de l’appropriation du savoir. Le sens de cette évolution réside dans ce que J ROUSSEL appelle  » La spécificité du terme évaluation « , ceci en disant :

 » L’apparition du terme  » Evaluation  » traduit, en fait une transformation profonde des conceptions pédagogiques qui s’accomplit actuellement ;  L’évaluation n’est synonyme ni de l’appréciation, ni de la notation ou de classement qui, longtemps, ont servi de sanction au travail scolaire ;  L’évaluation ne s’inscrit pas non plus dans le prolongement de la docimologie, science des examens qui, de 1927 – 1970 a constitué l’objet essentiel de la littérature consacrée au contrôle de l’apprentissage scolaire ;  La référence à l’évaluation n’est pas non plus l’effet d’une mode, ou de signification savante et distinguée des pratiques anciennes :

L’introduction de la notion d’évaluation est la marque d’une rupture des conceptions pédagogiques, elle indique le passage d’une pédagogie de la transmission des savoirs à une pédagogie de l’appropriation des savoirs, savoir – faire, savoir – être « .

3 – Les différentes conceptions de l’évaluation

Pour traiter ce point, on ne peut pas ne pas tenir compte de l’apport des travaux réalisés, dans le domaine en question, dans les pays anglo – saxons. En effet, toutes les études sur lesquelles nous nous sommes basés jusque- là relèvent, en grande partie, de la littérature  » francophone « .

A travers l’histoire, deux éléments nous semblent caractérisés les travaux effectués dans le domaine de l’évaluation scolaire. Ces deux éléments sont : la pédagogie de maîtrise et la pédagogie par objectifs. Ces deux thèmes occupent une place importante dans les ouvrages parus dans les années cinquante. Parmi les chercheurs les plus connus et qui ont marqué et même, si l’on peut dire, se sont distingués dans le domaine de l’évaluation scolaire, on peut citer Benjamin S. BLOOM et M. SCRIVEN. On peut aller jusqu’à dire que ces chercheurs ont marqué un tournant dans l’évolution de l’enseignement et de l’action d’évaluation en particulier.

Pour avancer un peu dans cette réflexion, nous disons que le nom de B. S. BLOOM est lié à ce que l’on appelle aujourd’hui  » la pédagogie par objectifs  » et  » la pédagogie de la réussite « . Les fondements théoriques de ces courants pédagogiques sont d’une telle originalité qu’ils constituent un modèle d’enseignement. D’une manière plus explicite, on peut dire, qu’à partir des années 30, l’acte d’évaluation a connu une redéfinition de sa conception. On parle d’évaluation en termes d’objectif terminal de l’action pédagogique. J. C. INOSTROZA dit à ce propos : « Vers les années 1930 et jusqu’à la fin des années 1950, l’évaluation a été perçue comme un processus visant à déterminer dans quelle mesure les objectifs d’évaluation sont en voie d’être atteints par le programme d’études et de cours « .

De son côté, P. DOMINICE avance : «  Avec B. S. BLOOM et des collègues, une importante étape a été franchie. Désormais l’évaluation va être axée sur des questions relatives. Dans une première phase, il s’est avéré nécessaire de clarifier les objectifs à évaluer en termes de comportements. Tout objectif descriptif d’un comportement doit trouver place dans une classification. Celle – ci étant aussi importante que possible « .

Néanmoins, l’évolution de l’acte de l’évaluation ne s’est pas arrêtée avec les travaux de B. S. BLOOM, c’est – à – dire avec l’apport du courant pédagogique appelé  » par objectifs « . En effet, les travaux de recherche réalisés dans les années 60 ont montré les limités des travaux faits dans le cadre du courant pédagogique dit  » par objectifs « . Les critiques formulées à l’égard des idées de B. S. BLOOM – le concepteur du courant pédagogique en question – ont ouvert la voie à l’acte d’évaluation de la troisième génération. J. C. INOSTROZA évoque cette idée en disant :  » La notion d’évaluation en tant que congruence entre performances des apprenants et objecifs d’un programme commence à être remise en question. (…) une nouvelle définition commence à prendre forme dans la deuxième moitié des années 1960. La dimension du jugement prend une place importante. SCRIVEN, STAKE et GLASS sont parmi les premiers à préconiser une telle conception  » . J. C. INOSTROZA ajoute même que  » GUBA et LINCOLIN affirment que l’appel lancé, entre autres, par STAKE et par SCRIVEN pour inclure le jugement dans l’acte d’évaluation marque l’émergence de l’évaluation de la troisième génération « .

4 – De l’évaluation sociale à l’évaluation pédagogique

Les critiques émises à l’égard des idées avancées par B. S. BLOOM n’ont pas fait que le courant pédagogique dit  » par objectifs  » soit complètement délaissé ou mis à l’écart. En effet ; M. SCRIVEN s’est inspirée de la conception de B. S. BLOOM, au niveau de l’objectif de l’acte d’évaluation, et a établi une distinction entre deux types d’évaluation se différenciant au niveau de l’objectif. Autrement dit, comme noue l’avons dit, entre les années 30 et les années 50 – la période appelée de deuxième génération de l’acte d’évaluation – l’action pédagogique a connu le passage d’une conception de l’acte d’évaluation dont l’objectif est l’appréciation du niveau des élèves pour la sélection ou l’attribution d’un titre à une conception dont l’objectif est l’amélioration du niveau des sujets. M. SCRIVEN, en abordant la question de l’évaluation, a désigné ou qualifié le premier type d’évaluation de sommative et celui correspondant au second objectif de formative.

Pour bien saisir le sens ou, si l’on peut dire, l’apport et les innovations réalisées avec l’adoption de ce que l’on appelle « l’évaluation formative« , au niveau de l’organisation de l’acte enseignement /apprentissage, une définition de cette nouvelle notion s’impose. Y. ABERNOT, en traitant cette question, a défini la nature de ce type d’évaluation comme  » évaluation intervenant en principe, au terme de chaque tâche d’apprentissage et ayant pour objectif d’informer élève et maître du degré de maîtrise atteint et, éventuellement, de découvrir où et en quoi un élève éprouve des difficultés d’apprentissage. (… ) L’évaluation formative permet aussi de déterminer si un élève possède les pré – requis nécessaires pour aborder la tâche suivante dans un ensemble séquentiels « .

A cette typologie des différents types d’évaluation, B. S. BLOOM et ses collaborateurs y ont ajouté un troisième appelé  » évaluation diagnostique  » dont le rôle, d’après S. SCALLON,  » ne se limite pas au dépistage des élèves en difficultés. Le diagnostic doit permettre de découvrir les forces et les faiblesses ainsi que le degré de préparation des élèves avant que ceux – ci n’entreprennent une séquence importante d’apprentissage, un cours ou un programme d’études « .

Ces trois types d’évaluation se différencient au niveau de l’objectif, du moment du déroulement et de l’effet à l’intérieur du système éducatif. Comme nous l’avons indiqué, l’objectif de l’évaluation sommative est la sélection des étudiants, en vue de l’orientation, ou l’attribution d’un titre. Autrement dit, dans ce type d’évaluation, il s’agit de prendre des décisions d’ordre social, c’est – à – dire, comme le dit Charles HADJI ,  » de formuler des jugements de valeur utiles à la société en tant qu’elle a besoin de connaître la valeur scolaire des sujets pour « orienter  » ceux – ci vers tel ou tel type d’activité socialement et économiquement nécessaire « .

Concernant l’évaluation formative, elle a pour objectif de :

 » 1 – permettre à l’apprenant de savoir ce que l’on attend de lui et de se situer en conséquence ; 2 – s’efforcer de faire un diagnostic précis des difficultés de l’élève, afin de lui permettre de  » s’y retrouver  » et en deuxième sens, en comprenant ses erreurs et en devenant, par là , capable de les dépasser : 3 – permettre d’ajuster le traitement didactique à la nature des difficultés constatées et à la réalité des progrès enregistrés « .

Enfin, l’évaluation diagnostique : son objectif découle du moment de son déroulement. On peut procéder à ce type d’évaluation soit avant, soit au cours de l’action pédagogique. Appliquée avant d’entamer l’acte d’enseignement ; l’objectif visé est l’assignation à chaque élève d’un point d’entrée dans une séquence d’apprentissage. G. SCALLON dit à ce propos :  » L’élève qui ne possède pas les habiletés préalables sera soumis à des activités de récupération. Celui qui en maîtrise certains éléments sera situé à un niveau intermédiaire qui constituera le point de départ de ses apprentissages « .

  1. C. DAUVISIS s’est intéressé lui – aussi à la question de l’évaluation faite au début de l’apprentissage et l’ a désignée par « Évaluation entrée « . Ce chercheur évoque l’objectif de ce type d’évaluation en avançant que celle – ci permet  » d’estimer le décalage entre le pré – requis du candidat et le pré – requis de la formation. ( … ) Si cette différence marque un manque on trouvera des modalités de préformation. Si cette différence est au profit du candidat, c’est – à – dire qu’il a atteint, voire dépassé les pré – requis estimés, il pourra entrer en formation et celle – ci pourra être allégué en fonction des acquis personnels « .

Si l’évaluation diagnostique est appliquée pendant le déroulement de l’action didactique, on vise par là, la détermination des causes des difficultés persistantes chez les sujets en question. L’atteinte des objectifs des différents types d’évaluation se fait par l’adoption de stratégies de travail différentes. Ces différentes manières de procéder ne sont pas sans effets à l’intérieur du système éducatif. G. NOIZET et J. P. CAVERNI avancent à ce propos :  » Si ces trois types d’évaluation se distinguent par leurs objectifs, ils se distinguent en outre par leurs effets à l’intérieur du système éducatif. L’évaluation diagnostique paraît être quelque peu marginale dans la mesure où elle ne fait pas partie intégrante de l’acte pédagogique. Les deux autres types d’évaluation sont plus intégrés dans le système éducatif. L’évaluation sommative a pour effet de situer les élèves les uns par rapport aux autres, de les différencier. (… ) Dans la mesure où, une fois fixé un objectif d’apprentissage, on veut donner des informations à l’élève pour l’aider à atteindre cet objectif, le souci de l’évaluation formative est que tous les élèves atteignent l’objectif que l’on s’est fixé. Par conséquent, l’évaluation sommative a pour résultat de différencier, l’évaluation formative a pour intention d’homogénéiser« .

Loin de vouloir négliger l’importance des deux autres types d’évaluation u du système éducatif, nous allons plutôt mettre l’accent sur l’évaluation dite  » formative « . En effet, c’est ce type d’évaluation qui retient l’attention des chercheurs ces dernières années. La question à laquelle certains d’entre eux essaient de répondre est :  » Comment mettre l’évaluation au service de l’action pédagogique « . Cette question nous indique de manière explicite le sujet vers lequel s’orientent actuellement les recherches dans le domaine en question.

Cette volonté de mettre l’accent sur la question de l’évaluation formative est aussi motivée par les caractéristiques de ce type d’évaluation. La nature de ceux -ci confèrent à celui – ci un rôle déterminant dans le système éducatif ; ceci au niveau au niveau de la façon dont l’acte d’enseignement / apprentissage est organisé et, par conséquent , de la nature des résultats atteints au termes d’un cycle d’enseignement bien déterminé. Ces caractéristiques qui manifestent le côté pédagogique de l’évaluation sont présentés par F. VIALLET et P. MAISONNEUSE de la manière suivante :

 » L’évaluation  » formative  » comporte les caractéristiques suivantes. Elle est :

1 – permanente, c’est – à – dire qu’elle s’effectue tout au long de l’apprentissage ; 2 – éducative, c’est – dire qu’elle est elle – même une activité d’apprentissage ; l’élève apprend par son évaluation ; 3 – dynamique, car en fournissant un feed -back ( information en retour ) à l’élève qui apprend pour lui dire s’il a atteint ou non tel ou tel objectif, elle lui prescrit également une activité d’apprentissage ( rattrapage ) si l’objectif n’est pas atteint ; 4 – relative à des objectifs pédagogiques spécifiques, définis aussi précisément que possible ; 5 – discriminante, car permettant d’identifier les problèmes d’apprentissages au moment où ils surgissent ; 6 – économique, car portant sur des petites parties de matière homogènes et permettant de ce fait des retours en arrière sans errance trop longue ; 7 – transparente, c’est – dire que les élèves savent à tout moment ce que l’on attend d’eux, savent exactement ce dont ils doivent montrer qu’ils sont capables ; 8 – démocratique, car fondée sur le principe qu’une très grande majorité des élèves doit et peut atteindre les objectifs fixés ; 9 – perturbante car conduisant à l’individualisation de l’enseignement , au respect du rythme individuel d’apprentissage, à la complexification du rôle de l’enseignant qui doit être à la fois précepteur et conducteur de la classe ; 10 – exigeante, car nécessitant une  » programmation  » fine des cours, une attention permanente, une charge de travail supplémentaire ; 11 – coercitive, car susceptible de donner à l’élève le sentiment d’être pris dans un filet « .

Après avoir défini l’évaluation formative et présenté ses différentes caractéristiques, nous allons aborder un troisième volet. Celui – ci touche au processus du déroulement de l’action pédagogique en question. Aborder la question du processus du déroulement de l’évaluation formative nous amène à parler de la fonction de ce type d’évaluation. En effet, l’objectif essentiel de l’évaluation formative est la régulation de l’action didactique.

La régulation des apprentissages peut être menée de manière différente. Linda ALLAL en a distingué deux qu’elle a désignées de régulation interactive ( évaluation continue ) et régulation rétroactive ( évaluation ponctuelle ). La distinction entre ces deux types de régulation est basée sur la nature de la démarche suivie ou adoptée par l’enseignant pour mener l’activité en question.

D’une manière plus explicite, on peut dire que la différence existant entre la régulation interactive et la régulation rétroactive se situe surtout au niveau de la nature de la démarche poursuivie en vue de la régulation de l’action pédagogique. Cette différence peut être illustrée à travers les propos de Linda ALLAL. Celle – ci, concernant la régulation interactive, avance :  » Pendant la totalité d’une période consacrée à une unité de formation, les procédures d’évaluation formative sont intégrées aux activités d’enseignement et d’apprentissage. Par l’observation des élèves en cours d’apprentissage, on cherche à identifier les difficultés dès qu’elles apparaissent, à diagnostiquer les facteurs qui sont à l’origine des difficultés de chaque élève et à formuler, en conséquence, des adaptations individualisées des activités pédagogiques « . Au sujet de la régulation rétroactive, ce même chercheur dit :  » Après un temps consacré à des activités d’enseignement et d’apprentissage, le maître organise une évaluation formative sous forme d’un contrôle écrit ( test, exercice ) passé par l’ensemble de la classe, les résultats de cette évaluation permettre au maître – et à l’élève – d’identifier les objectifs pédagogiques qui sont atteints ou non atteints, dans l’étape suivante, le maître organise ( ou l’élève doit prendre en charge ) des activités de remédiation définies en fonction du profil de résulats obtenus par l’élève « .

Les propos de Linda ALLAL nous indiquent que la nature de la différence se trouvant entre l’évaluation continue et l’évaluation ponctuelle se situe aussi bien au niveau de l’instrument utilisé ou mis en oeuvre pour recueillir les informations qu’au niveau de l’objet concerné par l’acte d’évaluation. Autrement dit, l’activité de régulation interactive s’effectue pendant le déroulement de l’acte d’enseignement / apprentissage ; ceci alors que l’activité de régulation rétroactive a lieu à la fin de l’activité pédagogique. Le moyen utilisé pour le recueil des données, dans le cas de la régulation interactive est l’observation des élèves en cours de travail , alors que la régulation proactive se base sur les résultats des contrôles passés par l’ensemble de la classe. Enfin, l’objectif poursuivi à travers la régulation interactive est l’identification de l’origine des difficultés que peuvent connaître les sujets au cours de l’apprentissage ; ceci afin de mettre en place une stratégie d’enseignement adaptée aux caractéristiques du public. L’objectif visé par la régulation rétroactive est l’identification des objectifs non atteints par les élèves afin de proposer une activité pédagogique de remédiation.

Toutefois, distinguer ne signifie pas choisir. En effet, comme le dit L. ALLAL ,  » dans la réalité de la pratique pédagogique, le maître sera souvent amené à élaborer des procédures d’évaluation formative qui combinent des modalités de type  » évaluation ponctuelle, régulation rétroactive  » avec des modalités de type  » évaluation continue, régulation interactive « .

5 – De l’évaluation formative à l’évaluation formatrice

A côté de l’évaluation dite  » sommative  » et l’évaluation dite « formative « , le monde de l’éducation connaît aujourd’hui ce que l’on appelle  » l’évaluation formatrice « . Cette nouvelle branche de l’évaluation est née à la suite d’une recherche menée par un groupe d’enseignants. Dans ce travail, il s’agit, comme le souligne G. NUNZIATI,  » d’étudier les effets d’une transformation des comportements d’évaluateur sur les performances des élèves en difficulté  »

Le travail de recherche ayant conduit à la mise au point de l’activité d’évaluation en question se fonde sur deux hypothèses fondamentales. Celles – ci sont présentées par G. NUNZIATI de la manière suivante :

1 – L’appropriation par les élèves des outils d’évaluation des enseignants ; _ 2 – et la maîtrise par l’apprenant des opérations d’anticipation et de planification

sont les deux objectifs pédagogiques prioritaires d’une démarche d’évaluation qui se veut formatrice, c’est – à – dire d’une démarche de régulation conduite par celui qui apprend  »

En partant des propos de G. NUNZIATI concernant l’objectif de la recherche dans le domaine en question, nous pouvons avancer que ce qui est visé à travers l’évaluation formatrice, c’est le comportement d’évaluateur, c’est – à dire d’un  » savoir – faire « . Autrement dit, le domaine de l’évaluation formatrice entre dans le cadre des connaissances dites  » instrumentales  » ou  » procédurales  » . G. NUNZIATI exprime cette idée en disant :  » C’est une discipline instrumentale car les connaissances qui la spécifient sont de nature à modifier l’acte pédagogique quelle que soit la matière enseignée  » .

Considérée en tant que matière devant faire partie du cursus du programme de formation des futurs enseignants, l’enseignement de cette discipline a pour conséquence d’amener les enseignants à repenser, voire remettre en questions certaines de leurs conceptions concernant le déroulement de l’action didactique. En d’autres termes, on peut dire que le fait de choisir d’appliquer l’évaluation formatrice manifeste la production d’une transformation au niveau des conceptions du praticien. G. NUNZIATI exprime la nature de cette transformation en disant :  » Si nous acceptons l’hypothèse que former, c’est transformer, il faut définir les transformations nécessaires à la mise en place d’un dispositif d’évaluation formatrice. Il y en aura trois sortes, comme pratiquement toutes les formations. Il s’agit de :

 la transformation des points de vue ;  La transformation des connaissances initiales ;  la transformation des techniques pédagogiques.  »

L’application de l’évaluation formatrice implique aussi la définition des objectifs du programme et des critères d’évaluation d’une manière explicite. En effet, cette définition des objectifs et des critères d’évaluation permet à l’apprenant de savoir ce que l’on attend de lui au terme de l’action pédagogique. Il pourra ainsi, pour réussir l’acte d’apprentissage mettre en œuvre une stratégie, qui lui est propre. Ainsi la connaissance des critères d’évaluation permet au sujet – apprenant de s’auto – évaluer et, par conséquent, de mener une activité de régulation de son apprentissage.

En réalité, l’apport principal de l’évaluation formatrice ou , si l’on peut dire, la caractéristique principale de l’évaluation formatrice réside dans la volonté de celle – ci d’aider l’apprenant à s’approprier des critères d’évaluation. Ces dernières peuvent être réparties en deux catégories :

1 – Les critères de réalisation ou procéduraux ; 2 – Les critères de réussite

En partant du rôle déterminant de la connaissance des critères d’évaluation dans l’atteinte des objectifs de l’action didactique, on peut dire, en raisonnant en termes de réussite et d’échec scolaire, que le degré de maîtrise de ces critères représente un élément générateur de différence entre les apprenants. L’importance de cet élément dans la réussite du l’acte d’enseignement / apprentissage découle du fait qu’il suppose, de la part des apprenants, la mise en oeuvre, comme disent certains chercheurs, d’une stratégies d’action. Cette stratégie pouvant ou devant contribuer à la réussite de l’action didactique se présentent en plusieurs étapes. Celles – ci sont présentées par G. NUNZIATI de la manière suivante :

« 1 – La représentation correcte du but, c’est – à – dire du produit attendu, défini le plus correctement possible ; 2 – L’anticipation sur la démarche à suivre, sur les étapes intermédiaires, sur les résultats des opérations projetées, sur les régulations possibles ; 3 – La planification ou le choix d’une stratégie (…) c’est un plan de travail, une maquette de l’action qui évoluera sous l’effet du contrôle spontané des résultats du parcours. 4 – L’exécution est tout simplement la réalisation du travail projeté ; 5 – L’évaluation, ou le contrôle, (…) c’est une observation du déroulement des quatre phases de l’action : on compare ce que l’on projette, ce que l’on fait et ce que l’on obtient avec le but visé « .

En guise de conclusion nous pouvons dire que ce que nous venons de dire à propos de l’évaluation formatrice nous indique le degré d’évolution qu’a connu le domaine en question à travers le temps. D’une manière plus explicite, comme nous l’avons montré au début, parmi les définitions qu’on a donnés à l’acte d’évaluation, on peut trouver que celui – ci se définissait comme  » l’appréciation du mérite ou de la valeur de quelque chose  »

Cette définition correspond en fait à la conception qu’on se faisait à l’époque de l’acte d’évaluation où celui – ci était considérée comme un acte de répression qui, dans certains cas, génère une situation d’anxiété. Avec le déroulement de la recherche et de la réflexion dans le domaine de l’éducation, la conception de l’acte d’évaluation a complètement changé. Aujourd’hui, l’évaluation est considérée, par certains chercheurs, comme un élément pouvant contribuer à la réussite de l’acte d’apprentissage. J. CARDINET dit à ce propos :  » L’évaluation est le moyen essentiel dont dispose l’enseignant pour se faire comprendre « .

Ce changement produit, au niveau de la conception de l’organisation de l’acte d’enseignement / apprentissage a été accompagné par la rédéfinition des objectifs de l’évaluation scolaire. Après avoir connu une période où la réflexion était centrée sur le thème de la notation, c’est – à – dire sur des questions qui déterminent le résultat final de l’apprenant. Actuellement, l’évaluation s’est donnée comme premier objectif l’aide à l’apprentissage. Ainsi, dans l’évaluation formative, l’acte d’enseignement est organisé de manière à faciliter l’acte d’apprentissage. Les difficultés des apprenants sont surmontées au fur et à mesure de l’avancement de l’action pédagogique. Quant à l’évaluation formatrice, son adoption mène nécessairement à la réussite de l’action didactique. A travers les outils dont elle dote les apprenants, elle permet à ceux – ci de mettre en œuvre une stratégie conduisant à l’atteinte des objectifs escomptés.

 

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Nasser A. ABOUBAKER Département de français Université El – Fateh – Tripoli LIBYE

 

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